Gérard Oberlé, ogre épicurien, né en Alsace, a raconté son parcours gourmand et œnologique, dans un ouvrage autobiographique « Itinéraires spiritueux ». Pourfendeur du conformisme et de la bienséance, il a commis d’autres livres croustillants. Invité à une émission à France-Culture, il a raconté sa vie et dénoncé ce que l’on pourrait appeler d’une façon globale et caricaturale le principe de précaution. « Les règles qui nous sont dictées par les moralistes, les hygiénistes et les ministres sont émasculatoires », a-t-il clamé lors de son passage sur les ondes.
Aussi, à l’heure où ces règles de tous ordres veulent nous cadrer ou recadrer, il est réconfortant de disserter, entre copains et amis, sur la texture, la longueur en bouche ou la salinité de ces vins non pollués par la chimie et la technologie. On peut alors en parler librement à grandes rasades de mots et de phrases.
Pour ma part, en trente-cinq années d’apprentissage, de tâtonnements, de réflexions, mon rapport au vin a évolué. Il est loin le temps où je me faisais fort de mettre un nom de fleur, de fruit ou d’épices sur les arômes qu’exhalait telle ou telle cuvée. Aujourd’hui, je recherche des vins que je peux boire, avaler, digérer et partager. Je suis particulièrement sensible aux vins gourmands. En plus, s’ils me procurent de l’émotion, mon plaisir est décuplé.
Certains sont heureux de contempler dans leur cave de belles bouteilles parées de jolies étiquettes au nom prestigieux. Des vins de garde, à fort potentiel, qui seront ou ne seront peut-être jamais dégustés. Est-ce l’âge, l’expérience ou la conscience de la fragilité de la vie, toujours est-il que je ne rentre pas ou plus dans cette catégorie. Au fil des décennies, mon rapport au vin a évolué : j’ai le désir de goûter et de partager des vins délicieux et émouvants sans plus attendre. Les rencontres, les différents groupes de dégustation auxquels j’ai adhéré ont profondément modifié mes repères.
Mais, je reste profondément sensible aux mots qui circulent autour d’une bouteille. À mesure qu’elle se vide, les mots deviennent souvent plus spontanés, moins académiques, moins guindés. Ils coulent de source, disparaissent, se cherchent, se lâchent, rebondissent, gorgée après gorgée. Ils semblent avoir enfin chassé leur ennemi omniprésent aujourd’hui, je veux parler des chiffres ! Se sentant délivrés de toute oppression, les mots peuvent alors se prononcer, ils peuvent …dire, sans entrave, sans qu’on les force. Parfois ils s’arrêtent, se reposent. C’est alors le silence. Mais, pour peu que l’on prête l’oreille, on les entend encore marmonner, murmurer, chuchoter.
Si vous avez égaré vos mots, si vous voulez vous débarrasser de tous ces chiffres que l’on vous rabâche à longueur de journée, le salon des vins libres est tout indiqué. Vins et mots vous y attendent. Une certaine liberté également. Et ce n’est pas un vain mot !
Jean-Marc Gatteron